Chroniques

par irma foletti

I Lombardi alla prima crociata | Les Lombards à la première croisade
opéra de Giuseppe Verdi

Opéra de Monte-Carlo
- 20 mars 2021
reprise à Monte-Carlo des "Lombardi" (Verdi) de Parme
© éric dervaux

Rare scène qui continue à proposer des représentations en public, l’Opéra de Monte-Carlo a programmé I Lombardi alla prima crociata, deuxième titre verdien de sa saison, après I due Foscari donné en fin d’année [lire notre chronique du 5 décembre 2020]. Il s’agit cette fois d’un spectacle créé en 2003 au Teatro Regio de Parme par Lamberto Puggelli, artiste disparu depuis [lire nos chroniques d’Il corsaro, Fedora et Andrea Chénier]. Dans l’édifice de Garnier, la reprise est réalisée par Grazia Pulvirenti, le dispositif scénique de Paolo Bregni s’appuyant largement sur des projections vidéos. Celles-ci sont vues en superposition sur deux supports, un tulle en avant-scène et un mur de pierres en fond de plateau, les parois de miroirs, qui bordent l’action à gauche et à droite, permettant d’augmenter sensiblement l’impression d’espace. Dans les tableaux d’ensemble, toutefois, la place est bien exigüe pour y caser avec naturel l’ensemble des solistes et choristes, les moments les plus critiques étant les batailles d’épées et de sabres qui s’entrechoquent, entre chrétiens et musulmans.

Les images projetées changent à bonne cadence – l’intérieur de la basilique Saint-Ambroise de Milan, celui du palais avec deux lustres suspendus pour mieux le figurer, mais aussi une partie de Guernica de Picasso, des cadavres au sol ou encore une ville détruite, à notre époque. Le tulle est levé au deuxième acte et l’on découvre le beau mur de pierres au fond, des images projetées de dunes pour évoquer la région de la ville d’Antioche, puis des ruines dans le style d’Angkor. Le décor est encore très minéral pour figurer la caverne où s’est réfugié l’exilé Pagano. On nous montre aussi quelques photos de boat people prises au cours de ces dernières décennies. À l’Acte III, ce sont des Juifs orthodoxes qui se recueillent devant le Mur des Lamentations. Au dernier, Giselda fait son songe devant un fond de ciel tourbillonnant. Enfin pour la conclusion du spectacle, le mur s’ouvre et une lumière généreuse pénètre dans la salle, avec vue sur Jérusalem dessinée au fond, tandis que se relèvent tous les cadavres qui gisaient au sol après la bataille.

La distribution vocale est de très bonne tenue, à commencer par ses trois rôles principaux. Dès sa prière Salve Maria, Nino Machaidze (Giselda) fait entendre une fort belle pulpe vocale, des aigus aériens, un legato élégant allié à une touchante expressivité. Mais elle est également dotée d’un bon abattage et d’une certaine souplesse vocale, issue de sa fréquentation du répertoire belcantiste – le soprano s’est, par exemple, produit à deux reprises au Rossini Opera Festival de Pesaro [lire notre chronique du Siège de Corinthe] –, ce qui lui permet de maîtriser la formidable conclusion de l’Acte II, ainsi que son grand air du IV [lire nos chroniques d’Il trittico et de Cavalleria rusticana]. Il est bien dommage que la diction ne soit pas à la hauteur de toutes ces qualités. Le ténor Arturo Chacón-Cruz (Oronte) possède une voix ensoleillée, un médium nourri et certains aigus qui claironnent avec force, même si le volume n’est, de manière générale, pas surabondant. Ceci n’est en aucun point gênant dans ce théâtre aux dimensions réduites, et La mia letizia infondere, l’air le plus connu du rôle (popularisé par Luciano Pavarotti dans ses récitals), est conduit avec goût. Présent à Parme en 2003, puis lors d’une reprise en 2009, Michele Pertusi compose un Pagano remarquable. Le rôle ne paraît pas puiser dans un extrême grave parfois un peu inconfortable, le vibrato reste sous un impressionnant contrôle et le chanteur fait preuve d’autorité, de mordant sur les attaques, développant longueur de souffle et projection vocale [lire nos chroniques de Norma, Jérusalem, Don Carlos, Don Pasquale, I masnadieri, Nabucco et Marino Faliero].

Clair de timbre et agréable, l’autre ténor, Antonio Corianò (Arvino) montre de belles intentions, de la vaillance, avec une puissance à la limite lorsque le chœur se met à chanter. Dans les rôles de moindre importance, Daniel Giulianini (Pirro) est une basse verdienne au grain assez noir [lire nos chroniques de La traviata et de Don Giovanni], Cristina Giannelli (Viclinda) et Michelle Canniccioni (Sofia) [lire nos chroniques de Dialogues des carmélites et de d’Il segreto di Susanna] sont bien en place, tout comme Rémy Mathieu dans sa courte apparition en prieur de Milan [lire nos chroniques de Die Zauberflöte, Hamlet et La traviata].

Déjà présent au pupitre pour les reprises parmesanes de 2009, Daniele Callegari est un chef verdien par excellence [lire nos chroniques d’Ernani, Il trovatore et Un ballo in maschera, entre autres]. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, il sait faire monter la tension dans les grands ensembles, mais garde en permanence l’équilibre entre fosse et plateau – bref du très grand art. Le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo se montre excellent, en suivant avec rigueur les nuances indiquées, comme pendant le quatrième acte avec O Signore dal tetto natio, frère jumeau de Va pensiero de Nabucco, pris mezza voce le plus longtemps possible, avant de monter en puissance pour la conclusion.

IF